Reprise de l’emploi sans croissance des salaires : verre à moitié plein, à moitié vide
La crise a entraîné une perte d’emplois de 8,7 millions pendant 25 mois, mais 9,4 millions d’emplois ont été créés depuis la fin de la crise. Le taux de démission est à un de ses niveaux les plus élevés (2,5 % des employés) et retrouve son niveau de 2006 : c’est le verre à moitié plein ! Quant aux offres d’emploi, elles ont atteint un pic historique (à près de 5 %) mais la croissance des salaires s’est décorrélée de sa tendance potentielle : c’est le verre à moitié vide ! La disruption technologique (6,5 % du secteur digital dans le PIB américain) et la consolidation dans certains secteurs seraient les vrais facteurs explicatifs d’une croissance des salaires contenue.
Disruptions sur le marché de l’emploi
En fait, « l’uberisation » sur le marché du travail a été massive, conséquence de l’innovation et de la digitalisation de l’économie : un rapport publié en 2015 par le General Accounting Office, et passé trop inaperçu, montre que le travail partiel a augmenté de 35,5 à 40,4 % de 2006 à 2010. Identiquement, le taux des auto-entrepreneurs qui avait décliné de 1 point de 1995 à 2005 à 58 %, s’est radicalement abaissé à 48 % en 2015 car les traditionnels auto-entrepreneurs ou travailleurs indépendants se sont transformés en salariés à temps partiel : l’émergence de plates-formes en ligne, B to B et B to C, s’est faite au détriment des auto-entrepreneurs par cannibalisation directe de leurs marchés. Cette contractualisation a été synonyme d’un abaissement massif de leurs honoraires.
Enfin, la globalisation et ce que les Américains appellent le « choc chinois » a généré une forte consolidation et concentration dans de nombreuses branches de l’industrie. Résultat, les salariés sont face à un unique demandeur d’emploi, en position de force pour fixer les salaires : les entreprises sont « price setters », tandis que les salariés et syndicats perdent leur « bargaining power ». Les entreprises sont dites en position de monopsone*, pour faire le parallèle avec le monopole sur le marché des biens et services.
Autre point à noter, les salaires horaires ont augmenté plus rapidement que les salaires hebdomadaires. Cette observation, mise en relation avec l’accélération des offres d’emploi (aujourd’hui à un niveau historique), un taux de démission élevé qui suggère une pénibilité, et une précarisation de l’emploi aux États-Unis, notamment via la hausse du temps partiel. Certes, depuis la dernière crise, le PIB est en hausse de 20 % par rapport à son point bas, mais le salaire réel moyen n’a augmenté que de 10 % tandis que le salaire réel médian réel reste 10 % inférieur à son niveau d’avant crise.
Conséquences sur le marché résidentiel
Cette fragilisation du revenu des Américains explique que la solvabilité des ménages a été très fortement entamée. Le taux de propriétaire est en baisse à 64,4 %, en deçà de 4 points comparativement à son niveau d’avant 2008. Pour les ménages, il n’est plus question d’arbitrer entre louer ou acheter en fonction d’un « revenu permanent » mais de minimiser ses coûts fixes, dont le logement, pour rester compétitif sur le marché du travail. De fait, le secteur locatif résidentiel aux États-Unis est devenu une alternative clé depuis la crise : aujourd’hui, 10 millions de ménages sont locataires – dont 6 millions avec un revenu moyen compris entre 75 000 et 150 000 $. Ces locataires sont très différenciés, qu’il s’agisse des cols « blancs » ou « bleus », leur objectif est de rester localisé près des bassins d’emplois, au sein des métropoles, sources de stabilité des revenus à long terme.
D’ailleurs, les fortes performances globales des foncières américaines, les Real Estate Investment Trust (REITs) résidentielles – 22 entités pour une capitalisation boursière de près de 150 Mds$, soit 14 % de la capitalisation des 226 REITs – sont le reflet de ce changement structurel sur le marché de l’emploi : en moyenne, la performance globale des REITs en logement a été de 15 % p.a contre 12 % p.a pour l’ensemble du secteur des REITs, au bénéfice du compartiment actions des grands investisseurs institutionnels, dont les fonds de pension américains eux-mêmes. Cet écart de performance entre REITs s’est accéléré depuis 2014, parallèlement à une accélération de la croissance économique américaine. Au sein du segment résidentiel, ce sont les 15 REITs spécialisées en appartements (75 % de la capitalisation résidentielle) qui affichent les performances globales des plus élevées. Aussi, au-delà des foncières spécialistes d’appartements, celles des maisons préfabriquées pour revenus modestes et moyens ont aussi le vent en poupe : les trois REITs spécialistes sur ce segment, avec une capitalisation totale de près de 18 Mds$, ont enregistré une performance globale de 20 % par an depuis 2009. Le marché américain compte aujourd’hui près de 16 millions de maisons individuelles à louer contre 12,8 avant crise, témoignage d’un changement de paradigme. Pour l’investisseur, petit épargnant ou institutionnel, la distribution reste confortable : les foncières spécialistes du marché locatif ont surperformé les autres foncières résidentielles, et elles ont servi en moyenne un rendement réel supérieur à celui des bons à dix ans du Trésor américain. Enfin, derniers indicateurs clés du marché locatif, les loyers ont augmenté de plus de 60 % depuis 2009 dans l’Ouest et de 45 % dans le Nord-Est des États-Unis, soutenus par la conjugaison d’une demande croissante et d’une différentiation horizontale de l’offre, fonction des revenus des locataires et de leurs aspirations.
Révolution aux États-Unis, le logement est devenu habitat au service de la compétitivité et du capital humain et plus uniquement une composante du patrimoine des ménages. Le « working class housing », le logement intermédiaire, est devenu la préoccupation prioritaire aux États-Unis mais également au sein des métropoles européennes. La compétitivité se construit aussi autour de la ville, avec un secteur résidentiel locatif pour porter la croissance et maintenir l’équilibre social nécessaire à une dynamique vertueuse. Le résidentiel locatif devrait pouvoir initier un dividende social en cohérence avec les grands enjeux de la finance responsable.
* Quand une seule entreprise peut fournir du travail.